Contrairement à ce qu’imagine George Orwell* la novlangue managériale n’est pas créée délibérément par une instance supérieure, Big Brother** et son administration. C’est, en réalité, un processus plus diffus, souterrain et insidieux, qui se met en place, tout d’abord, dans le discours des managers et consultants, au sein des entreprises, avec le discours du développement de soi.
Le terme « novlangue » désigne une forme de langage construit et totalement artificiel, qui vide certains mots et concepts de leur sens pour empêcher les personnes de raisonner librement. Cette nouvelle façon de s’exprimer, avec ses codes et ses pratiques, peut s’avérer nocive, notamment quand elle est utilisée pour gérer des situations complexes.
La novlangue : ses caractéristiques
Un lexique propre à l’entreprise est créé, lexique qui permet de fabriquer une culture, un esprit d’entreprise commun.
La novlangue est aussi beaucoup utilisée pour atténuer le sens d’une mauvaise nouvelle. Par exemple, si vous réalisez que le projet ne se déroule pas comme prévu et que les effectifs de l’équipe vont devoir être réduits, vous annoncez à vos collaborateurs : «Nous allons devoir nous réaligner et recadrer un peu les acteurs. Il va aussi falloir latéraliser quelques-unes de nos compétences.» «Latéraliser» signifiant ici «mettre de côté» ou «mettre entre parenthèses», c’est-à-dire, de manière très claire, supprimer.
Les acronymes, anglicismes et abréviations diverses forment un jargon d’initié qui crée un effet d’appartenance. A l’inverse ce jargon met les non-initiés en situation de vulnérabilité.
Dans la novlangue managériale, il y a aussi le ‘nous’ et le ‘tu’ enveloppés dans de grands et nobles substantifs aux contours flous comme « transparence », « excellence », « intégrité ». Pour le collaborateur, appelé à porter fièrement les valeurs de l’entreprise, ce n’est plus juste un job, mais une promesse existentielle.
Il y a surtout l’euphémisme triomphant : sa fonction principale est de nier les conflits et la brutalité des rapports du pouvoir. Grâce à cette optimisation lexicale, même quand tout va mal, tout va bien et le collaborateur pris entre discours idéal et réalité concrète se dit que, finalement, le problème, c’est peut-être lui. L’utilisation de la novlangue par les managers révèle une indifférence à l’égard des
collaborateurs de leurs équipes.
La novlangue, instrument de pouvoir
La novlangue managériale constitue un instrument de pouvoir. Ses trois objectifs principaux sont de véhiculer une idéologie, asseoir le pouvoir des dirigeants et influencer les comportements des collaborateurs.
Le discours managérial permet de huiler les rouages de la structure hiérarchique. Il tente de masquer le fait que les rapports humains dans l’entreprise ne sont pas que des rapports de coopération : ce sont également des rapports de force qui peuvent parfois être associés à la violence. D’où l’utilisation récurrente d’euphémismes et d’inversion de sens.
Par exemple, en période de restructuration, les dirigeants de grands groupes et leurs responsables des ressources humaines s’ingénient à habiller d’une terminologie positive, presque enjouée, leur programme de réduction d’effectifs pour communiquer auprès de leurs collaborateurs.
La novlangue est très utilisée en entreprise et l’utilisation à outrance de concepts flous, d’euphémismes et d’anglicismes peut avoir pour conséquence que plus personne ne se comprend.
Dans le cadre d’une restructuration, toute l’astuce consiste à trouver les bons mots pour sonner, au service de l’entreprise, la mobilisation de tous par la «démobilisation» de certains ou la restriction des moyens. Il faut reconnaître que ce concept est très fort.
La novlangue : quelques aspects positifs
Cependant, la novlangue managériale n’est pas systématiquement utilisée pour définir une démarche qui peut nuire.
Ce nouveau mode de communication, la novlangue managériale, est aussi utilisé par les managers de l’entreprise et de grandes organisations pour fédérer un groupe.
Certes, une entreprise en difficulté qui accumule les pertes doit pouvoir réduire ses effectifs si cela contribue au redressement de celle-ci. Cependant, pourquoi se perdre dans des faux-semblants et utiliser des mots et expressions édulcorants pour traduire une réalité plus dure et plus sinistre ?
*George Orwell est un écrivain, essayiste et journaliste britannique né le 25 juin 1903 en Inde. Dans son roman ‘1984’, la novlangue fut clairement définie par Orwell comme appauvrissement de la langue pour empêcher toute critique contre le système.
**L'expression « Big Brother » est utilisée pour qualifier toutes les institutions ou pratiques portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus
Sources
• La novlangue managériale
• La nouvelle novlangue managériale
• LE POISON DE LA NOVLANGUE MANAGÉRIALE DANS L’HÔPITAL PUBLIC
• Novlangue managériale : Mettons des maux sur des mots !
• LA NOVLANGUE MANAGÉRIALE – EMPRISE ET RÉSISTANCE
• Novlangue : les maux du management
• Des effets de la novlangue : perte de confiance dans la capacité à dire et à faire sens
• La novlangue managériale, un formatage de la pensée
• La novlangue managériale a maintenant son dictionnaire
• La novlangue managériale. Emprise et résistance
• Langue de bois en entreprise : comment maîtriser les bases de la "novlangue"
• Un discours à double face : violences symboliques du discours managérial